GEORGIE : L'ART DES EGLISES

Sur la route, nous avons réalisé, assez rapidement, une chose : la Géorgie regorge d'églises. Chaque bourg possède au moins sa chapelle, mais les sommets et les lieux les plus improbables en sont remplis aussi. A travers notre expérience de terrain, nous allons essayer de vous raconter une bribe de l'histoire de l'architecture ecclésiastique géorgienne.

CULTURE PIERRE

Louis Dutrieux

8/12/20247 min read

À partir du IVᵉ siècle, les premiers lieux consacrés, destinés au culte orthodoxe géorgien, ont été construits en suivant un plan basilical inspiré des églises proto-chrétiennes. Il se caractérise par une forme rectangulaire allongée avec des toits à double pente. Au Vᵉ siècle, l'architecture des églises commence à s'imprégner d'éléments byzantins, tels que les dômes et les croix inscrites. Un siècle plus tard, les influences sassanides¹ apparaissent également, marquées par des décors zoomorphiques que l'on retrouve notamment sur l'église de Bolnisi dans la région de Basse Khartélie. La construction de dômes à l’aide de trompes ou de pendentifs se généralise aussi durant ce siècle. Au VIIᵉ siècle, le clergé autocéphales arméniens et géorgiens commencent à diverger, tant sur le plan dogmatique qu'architectural, alors qu'elles étaient très similaires à l'origine. Les dimensions et styles des ornements des édifices continuent d’évoluer principalement jusqu’à l’invasion mongole à partir du XIIIᵉ siècle. L'âge d'or de l'architecture médiévale géorgienne décline ensuite doucement après l'invasion mongole. Il a néanmoins laissé une empreinte durable, posant les formes et les codes que l'on retrouve encore aujourd'hui dans le patrimoine existant, et surtout dans les nombreuses églises en construction à travers le pays.


Vue de la cathédrale de Tbilissi

La découverte d'un style

Cela fait quelques jours que nous avons quitté Batumi, en direction de la Kartlie intérieure où Torniké Machaidze, un tailleur de pierre géorgien, nous attend dans son atelier de Patara Ateni. La mer est désormais loin derrière nous, et nos mollets s’échauffent alors que nous affrontons les reliefs caucasiens. Autour de nous, les plaines se raréfient de plus en plus, et notre horizon est à présent parsemé de sommets. Durant notre ascension, dans la municipalité d’Aketi, nous nous sommes arrêtés près d’une petite église construite en grès marron, installée au sommet d'une côte. Perchée sur un flanc de montagne, l'église s'intègre harmonieusement dans le paysage verdoyant, quasiment tropical. En entrant dans l'enceinte de l'église, nous prenons soin de fermer le portillon de son enclos, afin d'éviter que vaches ou cochons errants ne viennent interrompre notre travail. Prenant le temps d'observer minutieusement l'église, nous réalisons nos premiers croquis. Ce moment d'étude marque le début de nos rencontres avec les églises géorgiennes dont nous avions eu écho. Nous découvrons un subtil accord entre les entrelacs aux influences d'Orient mêlés à une sobriété élégante. Les décors qui entourent portes et fenêtres semblent encenser les accès de lumière, tandis que les murs lisses et épais se dressent aussi solides que les montagnes environnantes.


A gauche et à droite : Cathédrale de Tbilissi / Au centre : L'une des colonnes de l'esplanade de la cathédrale de Tbilissi.

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Petite histoire des églises géorgiennes

¹ L’Empire Sassanides a duré plus de quatre siècles, de 224 à 651 et était avec l’Empire Byzantin un empire puissant frontalier de la Géorgie de cette époque.)

Visite de l'église de Samtredia. Une église à l'extérieur presque finie, mais qui a été laissée à l'abandon en plein travaux.


En chemin vers Patara Ateni, nous avons compté une dizaine d’églises en construction. Rien qu’à Gori, la plus grande ville à proximité de l’atelier, nous avons pu en recenser trois. Certaines ont été commencées il y a plusieurs dizaines d’années, d’autres sont tout juste terminées. La plupart d’entre elles ont une structure en béton ou en brique, plaquée de pierre d’environ 10 cm d’épaisseur, agrafée aux murs. Ce procédé constructif est très répandu en Géorgie et nous rappel les constructions que nous avions observées à Budapest pour le programme Haussmann². Les appareils de pierre utilisés sont assez simples. Nous avons eu l'occasion de voir des voûtes d’arêtes taillées sur un chantier d’église abandonné, excepté cet exemple, les arcs en plein cintre et les assises réglées sont les structures les plus courantes. Pour la plupart de ces édifices, les plans s’inspirent des églises médiévales, et les ornements trouvent leur place autour des ouvertures et certaines élévations.

Pour approfondir notre apprentissage, Torniké nous emmène visiter la Cathédrale de la Trinité de Tbilissi, consacrée en 2004 après une décennie de travaux. Sur l’esplanade, se trouve une série de dix piliers presque aussi récente que la cathédrale. Ils furent l'un des premiers projets de Torniké. En tant que jeune sculpteur, il devait aider des "maîtres", qui, chacun libres de leurs sujets, pouvaient traiter dans leur style personnel le pilier dont il avait la responsabilité. Sur ces bas-reliefs, nous pouvons déchiffrer la “patte” de chacun. On y voit des motifs géorgiens aux traits influencés par le style soviétique, des personnages finement travaillés d’un sculpteur statuaire et des éléments dans un style plus ancien. Ces dix piliers se distinguent par la liberté d'expression dans les ornements, preuve de la maîtrise des artisans géorgiens. Après ces explications, Torniké nous emmène voir son maître Goga, qui travaille dans un atelier situé derrière la cathédrale. Un lieu qui nous rappelle étrangement les Bauhütte³ que nous avons visités en Allemagne et en Autriche lors de notre première étape. Sous une structure en tôle, il nous montre les œuvres en cours de réalisation en tuf vert moucheté, notamment une iconostase⁴ destinée au monastère du mont Athos en Grèce. Ébahis par la finesse de ce travail exceptionnel, nous découvrons cette fois en direct l'habileté et la créativité toujours vivante dans l'ornementation présent chez ces artisans géorgiens

Les savoir-faire racontent

Lors de nos échanges avec Torniké et Goga, il est apparu que, pour eux, le travail ne manque pas. Que ce soit pour la création de mobilier liturgique, des iconostases, des colonnes, des corniches ou des arcs, les commandes de produits en pierre ornée ne régressent pas. Le clergé orthodoxe géorgien n’est donc pas seulement un culte, il fait aussi partie des clients importants pour nos confrères, tailleurs de pierre. Indirectement, cette église agit aussi pour la conservation des savoir-faire artisanaux, en permettant à des tailleurs de pierre et des sculpteurs ornemanistes de rester reliés à leurs prédécesseurs. Après ce mois de travail et d'observation avec Torniké, il nous reste à découvrir quelle est la part d'activité pour notre secteur, hormis cette clientèle d'églises.


³Bauhütte* (Structure dédiée à la construction, l’entretien et la restauration d’un monument et ayant un mode de fonctionnement spécifique.)

En poursuivant notre route à travers les montagnes et vallées du Caucase, nous découvrons un paysage géorgien parsemé de plusieurs centaines d'églises et d'édifices religieux, souvent en pierre. Qu'ils soient très anciens ou en cours de construction, ces monuments constituent une part essentielle de l'identité culturelle du pays. Ils incarnent non seulement l'importance de la religion orthodoxe en Géorgie, mais offrent aussi une place particulière aux métiers de la pierre.

Pendant un mois, dans l’atelier de Torniké, nous taillerons des corniches en grès destinées à la construction d’une église. Ces corniches que nous devons réaliser comportent un profil de moulure particulier, qui ne nous est pas familier. En raison de cette rupture de style, nous profiterons des connaissances de notre collègue pour en apprendre plus sur l'évolution des églises au fil du temps. Depuis la vue de l’atelier qui surplombe le village, nous allons passer de fabuleux moments aux côtés de Torniké, l’écouter nous décrire les histoires de ces églises.

Eglise de Samtavissi, dont certaines parties restantes, comme celle sur la photo centrale et le détail à droite, ont été bâties au VIème siècle.


³Cloison à trois portes décorée d'icônes fermant le chœur où officie le prêtre à la consécration.

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