UN PASSEPORT UNIVERSEL

Depuis le départ de l'expédition, nous voyageons avec quelques compagnons que l'on garde au chaud dans nos sacs. Ce sont nos outils. À la réflexion de bon nombre : "vous êtes fous ! Ça doit peser un bras", nous leur répondons que s'il fallait se débarrasser de quelques chose sur nos vélos, nos outils seraient bien les derniers que nous laisserions. Car ils représentent ce que nous sommes : des ouvriers en voyage, et nous permettent de travailler et de continuer notre chemin. Nous vous le présentons dans cet article.

CULTURE PIERRE

Orianne Pieragnolo

4/19/20236 min read

Le 10 juillet dernier, alors que nous nous élancions sur nos vélos, nous avions emporté qu’une petite trousse de coton, dans laquelle étaient enroulés quelques ciseaux tungstène. La moitié étaient pour un usage manuel³ et l’autre adapté pour les pistolets pneumatiques⁴. Il y avait aussi une massette et quelques outils de finitions (griffe, râpe …). Cet ensemble avait été pensé en prévision du grès que nous aurions pu tailler en Allemagne. Mais voilà, dès le premier travail en Bavière, nous nous rendons vite compte que les embouts ne sont pas les mêmes qu’en France. Une bonne moitié de notre trousse ne peu pas servir. Nous utilisons alors les outils de l’entreprise et des collègues. Cette pratique se continuera dans toutes les autres expériences d’entreprises. C’est ainsi que nous nous familiarisons avec l’outillage sur place. En Bavière et en Autriche, hormis les embouts spécifiques, nous n’aurons pas beaucoup de surprises au niveau des outils. La plupart sont de manufacture industrielle et restes très similaires aux nôtres voir de marque françaises et achetés à des revendeurs, sur catalogue.

Depuis le départ de l'expédition, nous voyageons avec quelques compagnons que l'on garde au chaud dans nos sacs. Ce sont nos outils. À la réflexion de bon nombre : "vous êtes fous ! Ça doit peser un bras", nous leur répondons que s'il fallait se débarrasser de quelques chose sur nos vélos, nos outils seraient bien les derniers que nous laisserions. Car ils représentent ce que nous sommes : des ouvriers en voyage, et nous permettent de travailler et de continuer notre chemin.

Trousse à outils d'un collègue de la Bauhütte de Vienne

L'identité de l'outil

Dehors, il pleut encore. Nous nous empressons de frapper à la grande porte métallique de la Bauhütte¹ de Vienne. Nos vélos sont chargés, prêts à partir. Raphaël nous ouvre la porte. C’est notre dernier soir dans cette ville. Il faut que l’on dise un énième au revoir à tous nos collègues, amis qui nous ont si bien accueillis. Pour l’occasion, l’un d’eux avait proposé de passer ce moment dans l’atelier de la cathédrale. Alors, nous n’avons pas pu refuser…

Autour des pierres à moitié taillées, nous rions, parlons cailloux et chantier. Mais certains ne se connaissent pas ce soir-là. Alors les présentations se font en parcourant l’atelier, mais surtout en ouvrant la caisse à outils de chacun. Comme lorsque l’hôte ouvre sa porte, l’artisan qui présente ses outils invite l’autre à franchir son palier. Il accepte de dévoiler le cœur, non pas de sa maison, mais de son travail. Dans un atelier, ou sur un chantier, ce rituel est commun et universel. On y retrouve un moyen de montrer une partie de sa personnalité, voire de son identité. Les caisses à outils sont souvent le reflet de la personne. Depuis notre départ, nous avons pu observer des outils impeccablement rangés et soignés, la marque de tâcheron² de son propriétaire gravé sur le flanc de chacun. D’autres font partie d’une collection impressionnante digne d’une caverne d’Ali baba, ou bien ce sont les quelques heureux élus d’une trousse à outils minimaliste. L’outil est donc intime, il se façonne avec les mains qui l’utilisent et porte en lui l’héritage et la culture du métier dans une région donnée.

A l'origine le forgeron

Image n°2 : Petit taillant utilisé à la Bauhütte de Regensburg

Image n°1 : Outils rangés dans l'atelier d'un tailleur de pierre non loin de Budapest

¹ Bauhütte : atelier de tailleurs de pierre d'une cathédrale. En savoir plus .

³ Outil destiné à être utilisé à la main, avec l'aide d'une massette (marteau de tailleur de pierre).


⁴ Le pistolet pneumatique est un outil permettant d'utiliser un ciseau par la force de l'air comprimée afin de créer une frappe artificielle.


Légende (de gauche à droite) :

  • Pinces et outils de forgerons dans l'atelier de Olah Mihaly

  • Outils en stock forgés par Olah Mihaly.

  • Poste de travail d'un collègue à l'atelier de Soskut

  • Outils utilisés à la Bauhütte de Vienne

  • Mains de Olah Mihaly

  • Commandes de la haveuse de la carrière de Soskut.

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Trousse à outils - cathédrale de Vienne

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Nos trousses ont donc bien changé depuis le 10 juillet. Nous avons offert une partie de nos outils et en avons reçu d’autres de nos collègues. Sur nos vélos, dans les sacoches avant, ces outils sont gardés prêts de nous, comme un bouclier. Si une mésaventure devait se présenter, bien plus précieux que tout le reste, nous avons nos outils ! On s’amuse donc à s’imaginer, que si dans une petite rue, un groupe malveillant nous abordait, nous aurions ce fabuleux réflexe de sortir ciseaux et massettes en l’air, tout en clamant : “tailleurs de pierre, tailleurs de pierre ! ”. Calmant le jeu, nous poserions alors les outils à terre. Les autres les inspecteraient, comprendraient, riraient. Puis, une tape sur l’épaule, un air de bon, de brute et de truand, on finirait autour d’un verre partagé. Oui, nous aimons penser que nos outils peuvent être notre passeport universel.

Nous repartons des étoiles dans les yeux. C'est la première fois que nous achetons nos outils chez un forgeron. Cela nous rappelle qu'il est important que chaque artisan puisse collaborer, sans l’intermédiaire d’un magasin ou l’écran de e-shop. Que l'interaction entre professionnels est primordiale et extrêmement enrichissante. Nous avons récupéré nos achats une semaine plus tard et savons déjà que lorsque nous les utiliserons, nous revivrons ce moment dans nos esprits avec le regard rieur de Olah Mihaly.

Image n°3 : Compas d'épaisseur trouvés à l'atelier de la Bauhütte de Vienne.

²Marque, signature propre à un tailleur de pierre. Aux époques où l'artisan était payé à la tâche, d'où le terme tâcheron, cela permettait de signer et donc de prouver le travail réaliser contre salaire.

En Hongrie, une grande surprise nous attend. Alors que nous travaillons à l’atelier de Soskut, un tailleur de pierre nous renseigne sur un forgeron de Budapest réputé pour ses outils. Il ne nous en faut pas plus pour nous y rendre. Accompagné de notre collègue, nous arrivons dans le quartier des "kőfaragó" (tailleur de pierre en hongrois)* de Budapest. Sur toute une avenue, des dizaines d'entreprises de taille de pierre, spécialisées dans le funéraire, s'enchaînent. Prise entre deux tas de pierre, une maisonnette crache une fumée grasse. Elle porte un écriteau jaune qui indique le maître des lieux, un maître forgeron : Olah Mihaly. Derrière la menuiserie encore verte, nous découvrons l'atelier. Noir. La suie de trois générations s'y est accumulée. Ce forgeron jouit d'une certaine notoriété grâce à la qualité de ses outils, apparemment remarquable. Olah Mihaly nous présente les fournitures qu'il possède en stock : massette, gradine, boucharde... Pris par l'envie de tout acheter, nous nous freinons et ne lui commandons que quelques ciseaux.

Légende (de gauche à droite) :

  • Pinces et outils de forgerons dans l'atelier de Olah Mihaly

  • Outils en stock forgés par Olah Mihaly.

  • Poste de travail d'un collègue à l'atelier de Soskut

  • Outils utilisés à la Bauhütte de Vienne

  • Mains de Olah Mihaly

  • Commandes de la haveuse de la carrière de Soskut.

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