UN GISEMENT D'HUMANITE
Chaque voyage est un instant particulier. Il crée sa propre identité au fur et à mesure des rencontres et des cultures. Ces 5 mois de voyages, ont été pour nous une expérience bien différente de la première année le long du Danube. Pour vous partager en ce début d’année des retours de cette deuxième expédition, nous voulions vous faire revivre un épisode géorgien où nous avons rencontré un groupe d’archéologue sur le fabuleux site de Dmanisi au sud du pays. Alors que nous n’avions que peu d’idées du pays et surtout de sa présence en pierre et en taille de pierre, nous y sommes arrivés, comme des enfants, le cœur ouvert et des images d’histoires plein les esprits.
JOURNAL DE BORD
Louis Dutrieux
1/15/20258 min read
À l'arrière de l'église qui se dresse devant nous, des éclats de rire brisent le silence du lieu. En longeant l’édifice, dont les pierres révèlent plusieurs époques de construction, nous arrivons dans le narthex¹. Là, un vaste trou béant s’ouvre sous nos yeux, plongeant à plus de trois mètres sous le sol. Autour et au fond de cette fosse, petits et grands s’affairent avec minutie, armés de pinceaux et d’outils délicats. L'ambiance est familiale et détendue sur le chantier de fouille.
Giorgi, un grand gaillard brun à la carrure typiquement géorgienne, nous accueille d’un sourire chaleureux et, à notre grande surprise, en français. « Bienvenue à Dmanisi ! » lance-t-il d’une voix grave, mais accueillante. Nous nous présentons, et très vite, une complicité s’installe. Giorgi partage quelques anecdotes sur sa vie en France, où il a intégré des équipes de rugby tout en suivant un cursus en archéo-paléontologie. Bien qu’il soit avant tout un expert en silex, il nous parle avec enthousiasme des roches locales, utilisées depuis des siècles dans les constructions de la région.
Nous écoutons attentivement ses explications, prenant des notes et enregistrant notre entretien. Pour illustrer ses propos, il nous conduit près d’une petite construction attenante à l’église. En désignant les murs composés de blocs de tuf rouge et vert, il décrit leurs propriétés : leur origine volcanique et les apports en fer et en cuivre, qui confèrent à ces pierres leurs teintes si particulières.
Lorsque nous lui rappelons que notre voyage vise à en apprendre davantage sur l’activité plus récente autour de la pierre, Giorgi évoque l’histoire des familles grecques venues s’implanter dans la région pour exploiter et tailler ces mêmes roches. À mesure que nous progressons, l’histoire du lieu et de la région prend vie sous nos yeux, chaque détail enrichissant notre compréhension de son passé.


Vue de l'ancien château fort de Dmanisi
Rencontres
Un soir à Tbilissi, alors que Ombeline, une amie réalisatrice, nous rendait visite, nous avons fait la connaissance de Jimmy, archéologue et Rike, architecte. À la belle saison, Tous deux consacrent une partie de leur temps, au sud du pays, sur le site archéologique de Dmanisi, situé à une trentaine de kilomètres de la frontière arménienne. Pendant cette soirée, Jimmy nous parla avec passion de ses recherches, notamment sur les pierres tombales médiévales découvertes dans cette région. Alors que nous marchions ensemble dans les rues légèrement obscures de la ville, nous avons partagé avec lui un aperçu de notre métier. Profitant de la lumière vacillante d’un lampadaire, nous lui avons montré les traces laissées par les outils ayant servi à façonner un pilier en pierre du XIXe siècle, situé à l’entrée d’une grande villa au charme désuet. Nous lui avons suggéré que notre expertise pourrait l’aider à analyser les marques d’outils sur les tombes anciennes ou à explorer d’autres sujets en lien avec son travail. À l’écoute de notre proposition, les yeux de Jimmy se sont illuminés, et un sourire intrigué est apparu sur son visage. Avant de nous séparer, nous nous sommes promis de passer le voir, lui et Rike, dans les semaines à venir, avant notre départ de Géorgie.
Quelques semaines plus tard, fin août, nous voilà en route pour Dmanisi, impatients de retrouver Rike et Jimmy. À la sortie de Tbilissi, nous traversons des paysages vallonnés et presque désertiques, avant que la route ne s'engouffre dans une vallée. Nous longeons une rivière sinueuse, bordée de bois et de rochers, au cœur d’un paysage de moyenne montagne. Autour de nous, les falaises aux teintes rougeâtres et vertes captent notre regard et alimentent notre impatience. Le souvenir de cette soirée conviviale nous accompagne, et nous avons hâte de découvrir ce site exceptionnel et le fruit de la rencontre entre archéologie et taille de pierre.
Après quelques heures de voyage, nous atteignons enfin le site de Dmanisi. À première vue, l’endroit semble modeste : un portail de métal rouillé ouvre sur un sentier poussiéreux, bordé de quelques arbres épars. Mais à mesure que nous avançons, les vestiges se dévoilent : une église médiévale entourée de quelques bâtiments anciens, de falaises, de collines et de ruines. Nous partons en quête de Jimmy et Rike.
L'église de Dmanisi en pleine fouille archéologique / L'église de Dmanisi




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Une découverte hors normes


De gauche à droite : Giorgi et Louis pendant la visite du site / Vue d'un mausolée dans les environs de Dmanisi / Inscription en ancien géorgien sur un linteau de la tour de l'église de Dmanisi / Exemple d'une pierre réemployée.










Nous retrouvons l’équipe sortie de la fosse, poursuivant les échanges et approfondissant nos discussions. Alors que le groupe de fouille commence à s'entasser dans un vieux 4x4 Lada blanc, Rike fait son apparition.
Heureux de la retrouver, nous acceptons avec enthousiasme sa proposition de faire le tour complet du site. Nous voilà en marche pour une visite guidée très bien renseignée et en français ! Et il y a de quoi s’émerveiller : elle nous guide à travers les ruines imposantes d’une ancienne forteresse médiévale, partiellement restaurée pendant la période communiste. Dans l’un des vestiges, les bains orientaux ont été reconstitués, témoins d’un mode de vie raffiné et multiculturel. Du haut de cette forteresse perchée sur la colline, le panorama dévoile toute la logique de cet emplacement stratégique. Le site, construit sur un promontoire rocheux, est encerclé par deux bras de rivières, formant un carrefour naturel avant de devenir un carrefour de civilisations. Rike nous explique que de nombreuses traces de vie ont été retrouvées dans les falaises qui bordent ces cours d’eau.
Dans le paysage qui s’étend devant nous, elle désigne d’un geste la trace de l’ancienne route commerciale empruntée par les caravanes de la route de la soie. Sur les flancs des montagnes et à travers la forêt, les sillons sont encore visibles, vestiges d’un passage qui relie les histoires des hommes à travers les siècles.
Enfin, nous redescendons vers les vestiges des habitations, qui marquent une autre étape de notre plongée dans l’histoire. C’est dans cette zone qu’ont été découverts, dans les années 1990, des fossiles d’humanoïdes datés d’1,8 million d’années avant notre ère. On peut voir sur les parois de la fosse plusieurs couches de lave qui ont enfoui les ossements de nos ancêtres. Ils sont parmi les plus anciens du monde, hors d’Afrique, ce qui place Dmanisi au cœur des recherches sur les origines de l’humanité.
À cet endroit, Jimmy assiste l’un des découvreurs de ces vestiges d’êtres vivants, en encadrant un groupe d’enseignants dans le cadre d’une université d’été.




De gauche à droite : Vue depuis les hauteurs du château de Dmanisi / Vue de l'église de Dmanisi / Le groupe d'archéologues à la pause / Une sculpture médiévale de bélier.
La journée touchant à sa fin, nous nous retrouvons tous au baraquement des archéologues, dont la vue donne sur le site de Dmanisi et ses vestiges, une sorte de poste de garde veillant au loin sur son trésor. Dans un petit village de l’autre côté d’une des rivières. Construit dans les années 1990, ce lieu, où nous passerons la nuit, semble lui aussi figé dans le temps. À l’étage, les dortoirs sont équipés de lits superposés rudimentaires, fabriqués avec de larges planches de bois brut, les mêmes utilisées pour les murs. Depuis les couchettes, des rayons de lumière percent à travers les lames mal ajustées. Après une journée riche en découvertes d’époques lointaines, nous prenons conscience que ce lieu, humble et fonctionnel, vit peut-être ses derniers instants. Bientôt, il pourrait être relégué au rang de vestige, tout comme les ruines que nous avons explorées.
Mais en bas, le banquet s’annonce vibrant de vie. Une longue table pour cinquante personnes est dressée, tandis que l’air se remplit déjà des prémices de chants, de rires et de discussions animées. Chacun partage les plats qu’il a préparés ou apportés, créant une profusion de saveurs et de couleurs. Cette ambiance joyeuse fait écho à la mémoire des lieux. L’effervescence du moment rappelle que la vie ici continue d’être célébrée, partagée et transmise. L’accueil chaleureux nous enveloppe, nous faisant sentir chez nous, portés par l’énergie collective et la générosité ambiante.
Le lendemain, en prévision de notre venue, sous le balcon du premier étage, Jimmy avait rassemblé des blocs de pierre gravés de motifs circulaire, qu’il avait assemblés de la manière qui lui semblait la plus logique. Cependant, certains blocs étaient brisés ou manquants, rendant l’analyse difficile. Bien que les textes en ancien géorgien partiellement lisibles permettent aux archéologues d’enquêter sur les histoires, les tailleurs de pierre, eux, apportent une autre perspective : celle de la géométrie.
Nous proposons alors d’utiliser l’un des blocs presque entiers pour retrouver le rayon du cercle d’origine. Après avoir tracé au sol la courbe suggérée par le fragment, nous réarrangeons les cailloux. Peu à peu, l’agencement des pierres prend une forme évidente. Ce qui paraissait confus au départ révèle une structure claire : un cercle formé de quatre pierres taillées avec précision. Grâce à cette méthode, Jimmy peut visualiser l’appareillage d’origine et identifier plus facilement les parties manquantes. Encouragés par cette collaboration fructueuse, le reste de l'après-midi, nous décidons d’explorer d’autres blocs provenant de la réserve, analysant leurs traces d’outils et échangeant sur leurs possibles provenances.
Cette immersion à Dmanisi a été bien plus qu’une exploration archéologique ou un simple échange de savoir-faire. Ce site, au-delà d’un lieu de mémoire, est un espace vivant où se perpétuent partage, entraide et dialogues entre cultures.
Avec ses vestiges médiévaux, ses fossiles d’humanoïdes et ses paysages marqués par des siècles de passage, Dmanisi agit comme une passerelle entre les époques et les personnes. Cette rencontre entre archéologues et tailleurs de pierre nous a rappelé l’importance de la collaboration, où chaque regard enrichit notre compréhension commune du passé et du présent.
Entre taille de pierre et archéologie : une collaboration
Narthex¹ : Porche fermé de certaines églises.
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