OUVRIR LES PORTES

Le 14 juin, nous avons été invités par Olga pour visiter la seule école des métiers de la pierre de Bulgarie à Kunino. Située à une heure de Sofia, la capitale, cette école concentre en elle une histoire du métier de tailleur de pierre et un héritage qui rendait hommage aux connaissances et savoirs artisanaux et artistiques.

JOURNAL DE BORD

Orianne Pieragnolo

11/15/20235 min read

Il faut imaginer retrouver la chaleur du soleil, celui de juin, où les rayons sont chauds et encore frais. Ils percent les vitres du train poussiéreux qui nous mènent dans la petite ville de Kunino, au nord-ouest de la Bulgarie, non loin de Sofia, la capitale. Nous traversons un paysage dense, vert et riche où les montagnes, comme des pains de sucre, se plantent autour de nous. L'une d'entre elles nous accueille sur le quai de la gare. Majestueuse et imposante. Elle est là comme pour nous annoncer la présence minérale du lieu. Comme pour nous dire que oui, vous êtes bien arrivés. C'est ici que des mains apprennent à manier la matière qui en constitue son flanc. Car ce jour, le 12 juin 2023, nous avons rendez-vous à l'école des métiers de la pierre, de Kunino, la seule et unique du pays, avec Olga, l’une des professeures.

Il nous faut seulement traverser les rails pour trouver l'école. Un grand portail, avec un panneau, indique le nom de l'établissement. Dans la cour d'entrée, c'est des pans, les plumes en éventail, que nous rencontrons en premier, à côté de sculptures stockées au sol. Nous nous engageons dans l'allée où de nombreux ouvriers vont et viennent. Les locaux sont en travaux. L'école est abritée sous un grand bâtiment haut d'un étage en forme de cloître. Une cour intérieure permet d'ouvrir les couloirs sur une lumière naturelle. Des sculptures accompagnent chaque recoin. A l'extérieur, au fond, un immeuble défraîchi, dans un style des années 70, sert d'internat. Dans le parc, des sculptures et des projets de taille de pierre sont exposés partout. Il y a une fontaine, un kiosque, des bustes sur des piédestaux… tous sont témoins d'une activité et d'un savoir passé.

Ce grand espace, représente une vraie vitrine, presque romantique, de ce que l'on imaginerait comme une école de sculpture et de taille de pierre. Tout est resté dans son jus. Mais il y a l'occupation des lieux qui tranche avec son aspect. On voudrait y voir de nombreux étudiants et entendre des coups d'outils à travers les portes des ateliers, mais voilà que nous ne trouvons qu'une poignée d'élèves, une quinzaine, avec des tasseaux rangés dans les recoins des salles. Ce contraste renvoie à une certaine nostalgie.

Nous avons rendez-vous avec Olga. Dynamique, la trentaine, elle semble passionnée, elle aussi, par son métier. Ou plutôt ses métiers. Olga est avant tout sculptrice. Elle est professeure, mais travaille aussi à son compte dans divers domaines artistiques comme la peinture et la poterie avec laquelle elle tente d’exceller dans chaque Le contact passe facilement entre nous. Elle devient notre mentor bulgare.

Pour l'instant nous nous pressons, car elle veut nous faire rencontrer le directeur de l'école.

Vue de l'internat sur la montagne.

Nous sommes invités tous les trois à s’asseoir dans les canapés du bureau. Comme le reste, nous avons l'impression que l'espace a été figé dans le temps. Mais au fur et à mesure de la discussion, nous comprendrons bien mieux ce lieu. Au fur et à mesure du récit, les pièces du puzzle s'assemblent autour de l'histoire de l'école de Kunino.

Car oui, cette école transporte l'héritage d'une culture des savoirs de la pierre et est le miroir de plusieurs époques qu'a traversées le pays. Tout commence en 1920, lorsque l'établissement est créé dans la volonté de moderniser le travail de la pierre et de répondre aux besoins croissant du marché. Pour former et amener une notoriété internationale au projet, un sculpteur tchèque Rudolph Braun est appelé pour diriger l'établissement. À cette époque, la République Tchèque est très réputée dans le milieu des métiers de la pierre. C'est ainsi que les bases se construisent avec un petit nombre d'étudiants. Puis au fur et à mesure des années, l'école s'agrandit et prend de la renommée. Elle forme une grande partie des tailleurs de pierre et sculpteurs bulgare. Des directeurs prestigieux, reconnus en tant que sculpteurs et bâtisseurs, se succèdent. C'est ainsi que dans les années 70 à 80, l'établissement va accueillir plus de 300 étudiants dans ses locaux !

C'est l'âge d'or de l'école et de la pierre. Le train à côté permet d'amener les blocs de pierre et de créer un lien avec la capitale. C'est encore la période communiste, les sculpteurs et les tailleurs de pierre sont très demandés pour répondre aux commandes d'états. La plupart des étudiants qui arrivent dans cette école sont alors voués à entrer aux Beaux-Arts ou à poursuivre des études. Le rayonnement de l'école dépasse les frontières. Mais la fin de ces temps glorieux sonne au même instant que la chute du communisme au début de l'année 90. Depuis, l'école s'est peu à peu vidée, les besoins de spécialistes de la pierre amoindrie, et comme dans de nombreux autres pays, les filières artisanales ont subi une discrimination face à des filières plus théorique.

Aujourd'hui, nous dit le directeur, il n'est pas facile d'enseigner aux élèves présents, qui pour la plupart n'ont pas choisi d'être là. Toutefois, l'espoir de redonner un élan à l'école ne décroît pas. Des travaux se font afin de moderniser les locaux et de nombreuses stratégies sont développées afin d'attirer des étudiants motivés et de redonner un nouveau souffle à l'école.

Après la visite, nous avons été très touchés par le message d'espoir et les possibilités extraordinaires que peut donner le lieu. Il nous trottait bien évidemment dans la tête l'image d'une rencontre européenne des professionnels et apprentis de la pierre ou un festival.

Les savoirs et les professeurs sont toujours là, il ne faudrait pas laisser un tel héritage dans l'oubli.

De gauche à droite : Visite d'un des entrepôts de l'école / Visite des archives de l'école / Serviette de toilette de l'école aux motifs faisant référence à la taille de pierre.

Le 14 juin, nous avons été invités par… pour visiter la seule école des métiers de la pierre de Bulgarie à Kunino. Située à une heure de Sofia, la capitale, cette école concentre en elle une histoire du métier de tailleur de pierre et un héritage qui rendait hommage aux connaissances et savoirs artisanaux et artistiques.

Différentes vues de l'école, de ses ateliers et de son parc.