EN COURS : ÉTAPE 2 L'Asie Centrale !
L’APPRENTISSAGE DE L’ESSENTIEL
Nous vous invitons, ce mois-ci, à venir découvrir une partie forte du patrimoine de la Géorgie qu'est celui des ornements géorgiens. Un art et un savoir-faire entre la taille de pierre, la sculpture et la gravure. Spécifique au pays, il est le reflet de nombreux échanges entre les peuples, mais aussi, symbolisent aujourd'hui une partie de la culture géorgienne, on en veut pour preuve, leur présence en détail sur les passeports officiels.
JOURNAL DE BORD
Orianne Pieragnolo
8/13/20246 min read
Nous avions repris le rythme des routes, déterminés à élucider ce mystère et rencontrer tout autant les pierres que ceux qu’ils les transforment. Il fallut partir derrière les montagnes qui encerclent Batumi. Nous quittions progressivement la densité des rues habitées, du bruit et de leurs activités grouillantes pour entrer dans la luxure verte des terres géorgiennes. La nature autour de nous resplendissait, comme le reflet de la profusion d’un jardin d’Éden. Car sur ces terres, l’on nous dit que les Hommes, on sut développer leurs connaissances de cultivateurs, avant bien d’autres territoires. Est-ce pourquoi les arbres sortent des forêts pour occuper les villes et les villages ? Dans les rues, les vignes courent sur les lampadaires et gardent leur place au-dessus des terrasses pour protéger du soleil les têtes des habitants. Ici, cela fait huit mille ans que l’on produit du vin¹.
L’osmose entre la nature prend et les entrelacs des végétations se dessinent jusque sur les
façades des églises. Nous le découvrons au fur et à mesure.
Travail d'ornements réalisé par Torniké Madchaïdze
L'arrivée
Fin juin a accueilli notre arrivée en Géorgie et avec lui le départ, le vrai, celui de l’expédition. Presque un mois s’était écoulé depuis le départ de France et les rives de Batumi. Lorsque, depuis le pont du ferry, nous avons distingué la ville, nous savions que la deuxième étape commençait. Le panorama était marquant. Des grues multicolores surplombaient la coque rouillée d’immenses bateaux et faisaient voler des conteneurs jusqu’au sol. L’ambiance du port commercial côtoyait de quelques mètres l’espace chic des quais de plaisance. Sur leurs bords, les buildings flambants neufs tentaient de défier les sommets des montagnes que l’on percevait à l’horizon. Nous comprenions que les contrastent construisent la ville. Nous allons découvrir qu’ils y construisent aussi la vie.
Le choix d’un voyage par voie terrestre et maritime, a certainement aidé à comprendre plus facilement que nous sommes dans un nœud, en plein milieu de l’Eurasie. Le pays est bloqué à l’ouest par la mer Noire et à l’est par le Caucase. Il est un passage essentiel entre deux géants, au nord, la Russie et au sud, la Turquie. Les terres ici ont vécu, elles ont été envahies puis reconquissent, mais surtout, elles ont accueilli. Des millions de voyageurs, de commerçants, d’émissaires, d’hommes et de femmes sont passés. Certains ont du restés, d’autres sont repartis. Malgré l’histoire, une culture forte s’est construite avec notamment une langue et l’un des quarante alphabets du monde.
Sommes-nous au centre de la terre ?
Si nous descendons des pierres, comme le raconte Apollodore, alors peut-être que les regarder de plus près nous permettrait de le savoir ?
De gauche à droite : Vigne, l'un des principaux sujets d'ornement ; stylisation de feuille de vigne ; Église d'Ozurgeti, travée répondant à celle des arbres ; Détail d'une colonnette à l'atelier de taille de pierre de la Cathédrale de Tbilissi ; Petites massettes utilisées par Torniké ; Vue depuis les montagnes de la vallée d'Ateni ; Élément de Mont Atos en trains d'être taillé ; Entrelacs d'arbres.
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Entre végétal et architecture
¹ La tradition de la vinification en kvevri est inscrite en 2013 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité définit le mode de vie des communautés locales et constitue une part indissociable de leur identité culturelle et de leur héritage, les vignes et le vin étant évoqués dans les traditions orales et les chansons géorgiennes.
De gauche à droite : Détails d'ornements vus sur le portail principal de l'église de Sametredia, neuve mais laissée à l'abandon.
Les églises surgissent de partout. Il suffit d’une place, d’une colline, d’une montagne ou d’un sommet pour accueillir leurs pierres, qu’elles soient récentes ou bien millénaires. En Géorgie, la religion principale est l’orthodoxie. Cela est important pour nous, en tant que tailleur de pierre, car nous allons comprendre à quel point cette information peut influer le métier. Des plans aux détails, les règles de la région dictent et régissent les formes des architectures. Tout comme la politique, elle modèle les esthétiques afin de les orienter autour d’idées, d’une culture et, ou d’un culte.
Nous découvrons donc une architecture ecclésiastique qui utilise bien souvent le plan basilical. Mais la particularité ne se trouve pas dans la structure, elle est inscrite dans les murs. Ce sont les ornements géorgiens. Ce sont eux qui nous sautent aux yeux. Eux, qui, par leurs figurations, nous permettent d’imaginer une lecture et une transmission d’histoires.
À travers leurs formes, nous essayons de décrypter leur langage, et d’en comprendre leurs origines. Tout d’abord, nous percevons un melting pot d’influences. La présence d’arcs outrepassés², pouvant être emprunté à l’Orient, des entrelacs chargés et presque celtiques, ramène des formes occidentales et certains chapiteaux ou têtes de piliers rappellent, par leur découpe arrondie, l’Asie de l’Est. Une chose les rallie et homogénéise le tout, ce sont les compositions régies par des règles strictes. L’une d’entre elles provient du clergé, qui n’autorise que les représentations sous forme de bas ou de hauts reliefs⁴. Le rond de bosse³ est interdit dans les lieux de culte orthodoxe, remplacé par des icônes. Les moulures aussi s’y font rares, elles sont substituées par les jeux d’entrelacs et de bas reliefs. Ces formes, nous les retrouvons aussi dans certains bâtiments publics, parfois même datant de l’air soviétique, inscrivant les styles anciens dans un encrage local et culturel extrêmement fort.
Au carrefour des influences
Le langage d'un savoir-faire
La vue de tous ces ornements nous dépasse, et surtout, nous interpelle. Il y a beaucoup à apprendre. Un carrefour de civilisation pareil ne s’aborde pas en quelques mois.
Il nous a fallu la rencontre avec un maître spécialisé dans l’ornement, Torniké Madchaïdze, afin de mieux percevoir leurs complexités. Et à ses côtés, nous allons comprendre une chose essentielle, celle de la liberté d’expression de l’artisan. Torniké maîtrise non seulement la taille de ses pierres, mais il sait aussi comment inventer et composer ses ornements et icônes. Il en connaît les codes et les courbes, les jeux d’ombres et de lumière justes. À main levée, il trace directement sur la pierre ses sujets. En maîtrisant ses créations, il témoigne d’un savoir-faire fort. Mais l’on y voit aussi une sensibilité, une foi et un amour au sein de son métier. Le résultat est touchant.
Les architectures que nous avons croisées, elles, non plus, ne nous ont pas laissées indifférentes. Résulterait-il donc de ces savoirs, une des façons de toucher l’essentiel ? Composer, sans réinventer, mais en inventant sur des bases millénaires, permettrait-il de pouvoir faire perdurer le dialogue qu’offrent les artisans sur les façades ? Les pierres parlent… Si elles sont taillées sans sens, elles perdent toute voix.
Un soir, Torniké nous montre son passeport. Sur la deuxième de couverture, une gravure représente en détail le portail d’une église. On y retrouve des éléments presque similaires à ceux entreposés dans son atelier. On comprend à quel point les géorgiens tiennent à leurs ornements, ils sont fichés et indélébiles dans un passeport, comme une preuve d’identité.
²Arc dont le point de centre est en dessous de sa ligne de naissance. Ce type d'arc est très présent au Moyen-Orient, mais aussi en Inde et en Afrique du Nord.
³Sculpture dont tous les côtés sont taillées. Elle est totalement en 3D.
⁴Sculptures engagées, elles ne sont pas entièrement dégagées de leur support. On ne peut pas en faire le tour.
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