LA PIERRE ET LE DANUBE

Une histoire de pierre

Proche des rives du Danube, de Kelheim* à Budapest*, nous avons relevé plus de 15 sites d’extraction de granit, de calcaire ou de grès, tous à ciel ouvert. Parmi eux, sur ce tronçon de 700 km, nous en avons visités quatre, situées proches du fleuve. Ces excursions nous ont fait découvrir l’existence d’un lien entre le Danube et des constructions en pierre de plusieurs siècles. Mais ces visites de carrières ont surtout donné un aperçu de l’activité du secteur pierre aujourd’hui sur cette portion du Danube.

À l’époque romaine, le fleuve servait de frontière. Sur nos vélos, le long de ses berges, nous en remarquons des vestiges, témoins des plus anciens d’édifices construits en pierre locale. Nous observons aussi que le même type de roche est parfois employé sur plusieurs
centaines de kilomètres. Cela se confirme après nos visites des carrières autour de Kelheim et des villes de Regensburg, Passau et Vienne. Établies le long du Danube, elles sont respectivement à environ, 25, 160 et 400 km en aval du site d’extraction. Sur chacune de leur cathédrale, nous retrouvons l’usage du calcaire ou du grès des environs de Kelheim. Ces édifices illustrent le rôle qu’a joué le cours d'eau pour le transport de matériaux de construction. D'ailleurs, l'ingénieur R. Schörner évoque, dans son histoire de la circulation sur le Danube, que la pierre est souvent transportée, ainsi que les personnes au cours des siècles.¹ Au fur et à mesure du voyage, nous avons le pressentiment que les matériaux n'ont pu être transportés seuls. La pierre a certainement aussi dû emmener dans son sillage, des ouvriers en quête de travail.

Nous avions repéré des indices de ces déplacements de travailleurs sur des façades d’Allemagne et d’Autriche, ornées de petites bases gothiques très similaires. Et récemment, nous avons aperçu des exemples de transferts de techniques sur des ouvrages autrement grands, comme sur les constructions du XIXe siècle que l'on peut voir à Vienne ou à Budapest. Lors de nos pérégrinations dans les rues de ces capitales, les immeubles
imposants aux enduits colorés laissent parfois leurs portes entrouvertes. En profitant de ces accès, nous avons pu découvrir des escaliers en pierres massives dont les formes et techniques de fabrication sont très ressemblantes.

Quelles sont ces tâches blanches, jaunes ou rosées que l’on observe sur la vue satellite de nos cartes ?... Des carrières. Elles sont difficilement repérables depuis le bord de la route. Pour les trouver, nous devons faire preuve d’astuces, connaître les bons mots-clés dans la langue du pays, utiliser le bouche-à-oreille ou avoir de la chance, d’autant plus si la carrière est souterraine.

Le Danube et les pierres aujourd'hui

Finalement, en suivant ce fleuve, nous prenons conscience du rôle qu'il a joué dans le développement du secteur pierre, autant pour le transfert de matériaux que celui de savoirs. Mais que reste-t-il de la dynamique du métier autour cette portion du Danube ? Afin d’en avoir une idée, nous nous sommes intéressés aux carrières proches du fleuve. Elles nous fournissent la matière première, c'est donc pour nous un indicateur idéal qui permet de discerner l'activité aujourd'hui.

Les carrières proches du Danube extraient essentiellement des roches dures, du granit et du calcaire. Les fois où nous avons visité ces lieux, l'accueil a toujours été chaleureux. Des responsables nous ont informés sur les différentes qualités de matériaux disponibles et leurs utilisations. Et, à deux reprises, nous visitons les usines de transformation sur site. Dans ces hangars immenses où le bruit des disques de débiteuses², guillotines³ et polissoirs⁴ fait résonner les murs, nous apercevons des quantités et les destinations des productions. À la sortie de ces sites de transformations, dans les zones de stockages, des palettes de blocs capables, de pavés, de stèles côtoient des tranches de plan de travail ou de revêtement de façades. La plupart du temps, les produits qui sortent de ces lieux sont finis, prêt à être chargés sur des camions qui livreront la pierre pour des entreprises ou fournisseurs dans les environs, dans toute l'Europe ou parfois bien plus loin.

Nous constatons donc que le cours du Danube a été utile pour la circulation de matériaux et de connaissances. Il a de ce fait favorisé le développement de la filière pierre à plusieurs époques. Cet héritage a permis d'ancrer l'activité sur son territoire qui, aujourd’hui, continue son développement bien au-delà des rives du fleuve. Sur ses berges, il nous est arrivé d’apercevoir des péniches au détour d’un virage. Forçant sur nos jambes pour les rattraper, nous avons été déçus de voir qu’il n’y avait ni cailloux ni ouvrier à bord de l’embarcation. La dynamique de la filière n’est plus aussi flagrante. Sur l’eau, à part des navires de croisières, il n'y a pas énormément d’autres types de bateaux.

La visite de carrières, proche des rives, nous a montrées que désormais la pierre et ses
savoirs circulent autrement. Finalement, c’’est comme si nous empruntions le chemin d'autres tailleurs de pierre. Il parait que le trafic de bateau est plus important sur le Danube inférieur. Peut-être aurons-nous l'occasion d'embarquer à bord d’une péniche chargée de pierres destinées à un prochain chantier ?

¹ “L’histoire de la navigation sur le Danube, particulièrement sur le tronçon autrichien” par R. SCHÖNER.

² Débiteuses : grande scie circulaire servant au débit des blocs ou tranche de pierre.

³ Guillotines : châssis composé d'une ou plusieurs lames utilisées pour débiter un bloc en tranche.

⁴ Polissoirs : machine automatisée permettant le polissage de la pierre.

Légende (de gauche à droite) :

• Carrière de Schwarzach

• Abbaye de Weltenbourg, situé sur les bords du Danube, Bavière, Allemagne

• Visite de l'atelier d'une carrière située sur les bords du Danube en Allemagne

• Vue du Danube depuis le chantier de restauration de la cathédrale de Passau

• Morceau de granit de Kusser, en train d'être bouchardé par un granitié de l'entreprise

• Granit , Nero Assoluto

• Panau "Danube" à Passau