LA MER NOIRE ET LES ARGONAUTES

Le 7 juin dernier, nous avons embarqué à bord du Djurba, un ferry permettant de traverser de la mer Noire de la Bulgarie à la Géorgie. L'itinéraire en plus d'être économique et pratique pour nos vélos, était aussi symbolique. Nous partions de là où nous nous étions arrêteé et nous avions en tête de belles histoire de voyage ... Prendre la mer ...

JOURNAL DE BORD

Orianne Pieragnolo

7/1/20247 min read

Pour partir vers la Géorgie avec nos vélos, nous avons décidé de prendre le ferry afin de traverser la mer Noire depuis la Bulgarie. Cette décision, en plus d'être pratique avec notre matériel de voyage, nous permettait aussi de reprendre l'itinéraire là où nous nous étions arrêtés à la première étape, il y a un an. Cette traversée de trois nuits, en huis clos, a donné le temps à nos esprits de partir vers des imaginaires et notamment de nous replonger dans la mythologie autour du mythe de Jason et des argonautes* qui prirent presque le même chemin maritime pour rejoindre la Colchide..

Un bus, puis Budapest, un bus, puis Bucarest, on pédale, 80 km, puis la frontière bulgare, un train, puis un bus et encore un train. C'est alors épuisé, que nous retrouvons les côtes de la mer Noire, celles-là mêmes qui avaient marqué la limite du premier itinéraire, lorsque cette barrière d'eau nous a fait prendre conscience, les larmes aux yeux, qu'une étape était belle et bien terminée. C'était il y a déjà un an. Nous nous étions assis face à l'étendue bleue, recherchant au loin la suite. Car pour nous, cette mer représentait tout autant une fin qu'un début. Les lignes de l'horizon nous amenaient à rêver l'Asie Centrale, des terres lointaines qui ravivaient des légendes connues. Des souvenirs de mythes grecs et des contes de voyages millénaires revenaient à nous, des histoires de voyages qui ont marqué l'humanité comme celles d'Hercule, des Amazones ou bien de Jason et la toison d'or. C'est cette dernière que nous inspira le trajet qui devait nous conduire en ferry de la Bulgarie à la Géorgie. Car la décision pratique, de prendre pour itinéraire la voie maritime de la mer Noire, nous amena inconsciemment à retracer l’expédition de Jason et des argonautes¹ afin de rejoindre la Colchide, la Géorgie actuelle. Nous nous amusions donc à imaginer, embarquant avec une armée de forts et jeunes guerriers sur l’Argo² vers des terres lointaines, presque inconnues.

Mais nous sommes, aujourd'hui, le 7 juin 2024, il est 15 h 00 à Burgas, une ville moderne bulgare, et nous nous apprêtons à découvrir ce que nous cachait le rideau d’azur nous faisant face. Si nous prenons l’itinéraire des argonautes, nous sommes à 348 km au nord du détroit de Bosphore qui permit aux troupes de héros de rejoindre les eaux de la mer Noire. Lorsque nous arrivons au port, sur nos destriers de métal, nous découvrons un décor de grues et d’acier. Les navires aux proues sculptées des imaginaires font place aux embarcations rouillées et aux camions. Autour d'un amas de poids lourds, nous nous faufilons entre leurs monstrueuses roues qui surplombent deux fois nos vélos. Dans ce monde de géants, il faut trouver le bateau qui doit nous transporter jusqu'aux terres de Médée³. C'est un vieux ferry entièrement métallique, peint en bleu avec son nom inscrit en gros dessus : Djurba. Ce sera notre enclos pendant deux jours et demi. Pour nous, c'est une première. Le temps ne sera plus marqué par le son des dérailleurs, mais par celui du remous des vagues. Devant nous, la cale ouverte montre une bouche béante qui vient se dérouler sur le bitume du quai. Les troupeaux de camions s’y font charger et leurs maîtres, bras croisés, en attente des papiers, sont posés à l’entrée avec les douaniers. Elle est là notre nouvelle armée d’aventuriers et d’explorateurs ! Une horde d'argonautes modernes constituée de routiers aux longs court, des carrures de géant aux rires tonitruant, les muscles tatoués et l'esprit des voyageurs du macadam !


En rentrant dans la coque du bateau, nous paraissons bien gringalets à côté de ces colosses. Nous entreposons nos petits vélos dans un coin rouillé de la cale et partons avec quelques-uns de nos sacs. Nous laissons nos montures pour prendre place dans nos nouveaux appartements. Arrivés sur un le premier pont, une ouverture métallique aux encoignures arrondies nous amène dans un long couloir. La première porte dessert le lobby. Une pièce où la fumée de cigarette a jauni les murs et tapissé l'air d'une odeur de tabac froid. Il y a une télé et des DVD russes, quelques tables et des canapés aux tissus vieillis. Sur les étagères, des jeux de dominos, et un boulier. Passé cette pièce, nous trouvons la salle à manger, le centre de vie, meublée d'une vingtaine de tables et de siège en similicuir rouge. Les murs sans vue sur l'extérieur arborent des autocollants de hublots dont la vue donnent sur des plages aménagées de parasols et d'immeubles de station balnéaires. Les chambres sont desservies par un couloir autour de cette salle. Ce sont de petites cabines, de deux ou quatre lits. La nôtre en comporte quatre. En faisant le tour de l'habitacle, nous faisons aussi la connaissance de nos compagnons de chambre. Deux autres cyclistes, Jan, un suisse sportif et Renan, un français, voyageur rêveur, qui se fait le défi de rejoindre l’Ouzbékistan.

Pour prendre l’air, nous avons à disposition le pont inférieur, un petit espace partagé pour la trentaine de passagers. Il est heureux que les quatre-vingt places du ferry ne soient pas toutes occupées. Les amarres furent larguées durant la nuit. Nous étions couchés dans nos cabines. L’hélice se mit à vibrer, entraînant un son qui rythmera toute la traversée.

Ce n’est que le matin où nous découvrîmes mieux les lieux et commencions à apprivoiser nos collègues, et la mer, une étendue plate à perte de vue. Tout comme notre arrivée à travers les camions, nous nous trouvions bien insignifiants aux côtés des routiers. Il fallut d’ailleurs attendre la dernière soirée, pour que puisse se créer un lien avec eux. Intimidés, certainement, il fallut briser les codes. Les gars avaient bu durant les deux premières nuits. Bagarres, railleries et éclats de voix, l’armée d’argonautes, avait commencé à tomber dans les méandres d’un instant de vie cloitrée. Même nous, nous nous perdions. Nous nous en rendîmes compte lorsque l’ont pris la boîte de dominos et une bouteille de vodka, les cyclistes jouant les gros bras.


La vodka, nous la pensions aussi comme un passe-droit pour créer un lien avec les routiers géorgiens. Plus près de Médée, la sorcière aux potions, nous arrivâmes à nous apprivoiser autour de chansons et de croyances. L’alcool n’a pas été monnaie d’échange. Le dernier soir, il fallut rester digne pour retrouver les chemins de bitumes et les contrôles de polices. Mais nous nous quittions après une danse et des sourires. Eux reprenant les routes à toutes allures vers leurs familles, faisant le chemin du retour avant un prochain départ. Nous, partant vers l’inconnu, les pieds touchant enfin le sol de l’étape tant attendue, celle où nous espérons trouver une forme de toison, mais cette fois-ci, sera-t-elle faite certainement de pierre …

³ Médée : Magicienne, née et habitant en Colchide, fille d'Hécate (déesse de la lune, de la magie et des limites) et du roi de Colchide (Géorgie actuelle) Éétès. Elle joua le rôle majeur dans la quête de la toison d'or de Jason, grâce à ses potions et sa magie. Elle tombera amoureuse de ce dernier et quittera ses terres avec lui, au retour de la quête.

¹ Les argonautes : Nom donné à Jason et à ses compagnons qui partent à la conquête de la Toison d'or, en Colchide, à bord de l'Argo.

² L’Argo : Nom du navire qui permit aux argonautes de rejoindre la Colchide.



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