DANS LES COULISSES D'UN ATELIER HONGROIS

À la sortie de sa formation de tailleur de pierre/sculpteur en 2005, János a vingt ans et l'envie de découvrir d'autres horizons. D'ailleurs, on peut se demander si cette envie n'est pas née dans sa jeunesse au contact des blocs de marbre cubains achetés durant l'époque communiste, par son père. Cette invitation au voyage le conduira dans un endroit qui peut nous paraître moins exotique. En effet, grâce à un programme d'échange entre jeunes professionnels franco-hongrois, il a l'opportunité de vivre trois mois au sein d'une maison de compagnons proche de Lille, en France. Dans ce lieu, il est touché par l'esprit de fraternité et la quantité de savoirs professionnels auxquels il a accès. Il restera bien plus longtemps que prévu : au bout de dix ans, après être devenu compagnon tailleur de pierre et avoir circulé en France, en Italie et en Angleterre, il rentre en Hongrie, polyglotte et détenteur d'une somme de compétences saisissante.
Dans son entreprise, quelques indices laissent transparaître ce passé. Il nous montre d'ailleurs dans son bureau certains livres techniques collectés dans différents pays. Plus loin, dans sa réserve de matériel, nous apercevons aussi des outils français, anglais, indiens ou encore des maquettes d'escaliers en plâtre.

Sur le trottoir ensoleillé, une silhouette se détache des boutiques de fleurs de l'arrière-plan. Elle nous fait signe. Des bottes orange délavées aux pieds, un casque antibruit à la taille, nous reconnaissons János, la quarantaine, tailleur de pierre hongrois. Nous avons rendez-vous avec lui ce matin afin de découvrir son atelier. Le temps d'allumer notre enregistreur et de sortir l'appareil photo, en deux minutes, nous voilà parés pour la visite.

Vue de la cabine où se trouve la débiteuse

Une affaire qui tourne

Depuis quelques années, János a repris la marbrerie funéraire héritée de son père. Elle se situe dans le quartier résidentiel de Pacsictatelep à Budapest, non loin du cimetière. C'est aussi là qu'il a grandi. Dans l'entreprise, il travaille conjointement avec sa mère pour la partie commerciale ainsi qu’avec un employé qu'il a lui-même formé.

Les locaux de l'affaire familiale n'ont pas l'air aussi petits qu'ils paraissent. Adjacente à la maison d'enfance de János, une place dédiée au stockage est encadrée par une série de bâtiments et de préaux. Les lieux sont ordonnés, à l'image de notre guide. On se sent bien dans cet endroit où une multitude d'objets éveille la curiosité. Ici, l'activité principale est la fabrication de monuments en pierre et en béton poli¹. Pour ce faire, János utilise au quotidien des techniques héritées de son père, sans doute même de son grand-père. Il nous présente les gabarits utilisés pour la pierre et les moules pour les monuments en béton de plusieurs dizaines d'années. Nous admirons également certaines machines laissées par ses prédécesseurs qui tournent encore parfaitement, comme la genouillère² des années 1960-1970. Cette grosse machine en fonte est tellement bien huilée qu'on pourrait la déplacer avec un petit doigt. On constate que chaque zone de l'atelier a sa fonction. Les pièces et les outils sont par ailleurs bien entretenus et rangés. Peut-être même un peu trop bien, nous dit János en riant. Quand il a du temps, János rénove et réorganise certaines salles. Chaque pièce est décorée d'objets hérités de ses parents. Nous observons qu'il ajoute à son tour des souvenirs de son expérience.

L'habit ne fait pas le moine...

¹Le béton poli est une technique mise à profit par les tailleurs de pierre dans certains pays dont la Hongrie pour pallier la pénurie de pierre pendant la période communiste.

Présentation de la genouillère et de ses outils.

²polissoir-genouillère : machine composée d'une colonne, d'un socle ou d'une fixation murale sur lesquels est fixé un bras articulé (genouillère). À l'extrémité de ce bras, une tête tournante équipée de plusieurs meules abrasives permet de polir les matériaux posés sur une table.

Pendant notre entretien, János s'éclipse pour montrer quelques techniques à un jeune en cours de préparation aux Euroskills. Nous le saluons rapidement pour ne pas le déranger alors qu’il est concentré dans l’apprentissage du fonctionnement de la disqueuse. Un instant, nous regardons le jeune homme travailler avec envie en mesurant la chance qu’il a de bénéficier d'un tel formateur.

Sur notre route, c'est un des rares ateliers que nous avons visité et où nous avons rencontré un artisan aussi complet et passionné. L’héritage familial de János, combiné à ses séjours à l'étranger, lui donnent la possibilité aujourd’hui de répondre à une grande diversité de travaux de taille de pierre, autant pour la marbrerie, le bâtiment, la sculpture ou les escaliers. Cette visite nous rappelle qu'il ne faut pas se fier aux apparences. Le matériel ne représente qu'une infime partie de la valeur réelle d’une entreprise comparée aux connaissances et aux savoirs que le tailleur de pierre détient. Dans un atelier, derrière l’aspect impressionnant que peuvent avoir les blocs de pierre, les bruits et la poussière des machines, il y a, avant tout, l'artisan.

Janos nous présentant la genouillère/polissoir

Stock de différentes pierres calcaires et marbres de l'entreprise

Un destin d'aventure et de pierre