Ausbildung und Meister

Nous avons emporté dans nos sacs un outil que nous n’avions jamais utilisé avant de partir : un enregistreur numérique. Il nous permet de préserver la voix des tailleurs de pierre, des portions de vie qu’ils nous partagent. Ce sont des expériences qu’ils racontent et des conseils qu’ils nous donnent. L’été dernier, nous nous sommes installés autour d'une table de jardin pour interroger un collègue. De sa voix chaleureuse, il nous partage : “Je pense que le métier de tailleur de pierre peut donner accès à une dizaine d'autres métiers”. Ces paroles nous ont marqués. Elles ont éveillé en nous l’envie de découvrir un peu plus ce que les formations allemandes sont capables d’apporter comme perspectives professionnelles.

Ces apprentis s'enrichissent donc, pendant trois ans, d’expérience et de découverte de leur univers professionnel. Il les amène, à la fin, à penser d’eux-mêmes et à avoir une vision élargie sur les possibilités du métier. Les ouvriers qui décideront de prendre des responsabilités, plus tard, devront devenir Meister (maître en français). Ce statut leur donnera accès à un niveau de reconnaissance significatif au sein de la profession. En Allemagne, cet échelon est obligatoire pour ouvrir une entreprise, accéder au poste de chef d’atelier, de chantier ou encore former des jeunes. Il protège la qualité des entreprises, permet d’élargir les perspectives personnelles et favorise les innovations dans le métier. Pour accéder au diplôme, les élèves acquièrent en deux ans les compétences nécessaires afin d’instruire et d’entreprendre. Au cours d’un entretien avec un entrepreneur, celui-ci nous a expliqué qu’il souhaiterait partir à la retraite. Or, aucune autre personne que lui dans l’entreprise ne possède un titre de Meister. Le fils du gérant sera donc obligé d’en posséder un pour reprendre l’activité familiale.

Par ailleurs, ce niveau professionnel, reconnu comme un Bachelor, permet d’accéder à l’université. C’est un réel atout pour ceux qui désirent se lancer dans un autre métier, mais aussi pour le secteur pierre lui-même, car cela privilégie la reconnaissance des professionnels. D’ailleurs, nous avons échangé avec Jérôme, directeur de la Bauhütte de Passau. Dans son bureau, au milieu des plans et des étagères de livres, il nous a expliqué ce que lui ont apporté ses études en histoire de l’art après être devenu Meister. Ses connaissances, acquises à l’université, combinées à son expérience de tailleurs de pierres, lui permettent, aujourd’hui, de collaborer avec les archéologues et historiens sur le chantier de la cathédrale. Le titre de meister apparaît donc comme un atout pour la reconnaissance des savoirs pratiques dans le pays.

Nous avons donc rencontré plusieurs apprentis lors de notre séjour en Allemagne. Certains d’entre eux ont une idée claire de ce qu’ils vont faire plus tard, tandis que d’autres vivent leur métier au jour le jour, sans se demander ce qu'ils pourront en faire demain. Ces élèves étaient encore dans la période du Ausbildung (formation en français), en première, deuxième, ou troisième année de formation. Nous avons pu observer, pendant ces rencontres, que chaque étape de leur apprentissage est construite autour de plusieurs initiatives. Elles les conduisent à développer leur créativité pour que chacun d’entre eux puisse trouver un chemin dans le métier qui leur correspond. L’alternance inhérente à leur apprentissage, les obligent à se responsabiliser et à se confronter au métier. Nous l’avons compris sur le chantier de Lindau, avec Rosjna, l’apprentie qui travaillait avec nous. Elle nous a montré, avec passion, ses projets de pierre tombale soigneusement dessinés à la main qui devront être présentés aux clients. Ainsi, chaque moment vécu à l’entreprise augmente son expérience et sa maturité.

En troisième année, les élèves doivent accomplir leur Geselle Stûck (Pièce de Compagnon), un travail permettant de faire le bilan sur leurs périodes d’apprentissage. Cet ouvrage se présente comme une réflexion personnelle, une feuille blanche donnée pour rassembler la somme d’expériences cumulées, exprimer la sensibilité et l'intérêt de chacun dans une seule et unique pièce. Durant la visite de l’atelier de la Bauhütte de Passau, nous nous sommes entretenus avec Daniel, apprenti en troisième année. Il nous a présenté fièrement l’ébauche de son projet de fin d’études. Il envisage de le faire de deux parties, avec des contours aux formes gothiques. Avant de commander la pierre, il prévoit de réaliser plusieurs modèles afin de trouver les bonnes proportions. Son travail est assez fin et élancé, ce qui révèle le caractère de la personne et son potentiel.

L’Allemagne réunit aussi des initiatives menées par des associations ou organismes afin de valoriser les métiers et de proposer des offres de stages de perfectionnement. Ils contribuent ainsi à la défense et à la mise en valeur des intérêts de leur profession. La corporation (Innung en allemand) en est une actrice. Pour les ouvriers, il existe aussi le Compagnonnage Allemand, représenté par différentes associations, dont les Roland Schacht (La société des Frères de Roland) qui proposent un programme de stages de perfectionnement ouvert à l’Europe.

Il existe sûrement bien d'autres cursus et chemins d'enseignements possibles pour le métier. Mais l'on peut constater, que quel que soit son statut, apprentis ou ouvriers, chef d'entreprise ou d'atelier, il est toujours possible de se diriger vers d'autres spécialités tout en restant dans la pierre. Cette organisation de la profession procure aussi à l'ensemble de ses membres des perspectives d'évolution et d'innovation. La filière pierre allemande est donc bien équipée pour intégrer à sa manière les enjeux économiques et écologiques de demain.

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