Ascension intemporelle

Le 05 octobre, Orianne et Louis ont eu l'occasion de rencontrer Mattias Baumüller, directeur de la loge des tailleurs de pierre de la cathédrale de Regensburg. Ils ont vécu une visite de plus de 6 heures, ils vous partagent cette expérience exceptionnelle !

JOURNAL DE BORD

11/10/20229 min read

Comme chaque fois qu’un tailleur de pierre se fait guide, il nous permettra de comprendre des détails, souvent inconnus de beaucoup, même de spécialistes ou d’historiens. C’est donc dans la jolie bâtisse de l’atelier que tout commence. Le lieu respire une certaine quiétude. Matthias est calme et nous offre les réponses aux nombreuses questions que nous lui posons. C’est ainsi qu'il nous emmène dans les différentes pièces de la Bauhütte*. Nous voyons la forge, la salle des épures, les bureaux, les stocks, la cuisine, et même les archives. Dans l’atelier, les tailleurs de pierre travaillent à la main. Ils utilisent des types d’outils considérés de la même époque que la cathédrale. Ici, la règle est stricte. Pas de machines électriques, ni d’outils pneumatiques. C’est la massette et le ciseau qui rythment la journée. Alors que nous nous apprêtons à entrer dans la cathédrale, Catherine Hummel, guide, conférencière, française, nous rejoint : “Je peux vous accompagner, si vous voulez, pour faire la traduction, je suis libre jusqu’en fin d'après-midi". Décidément, le hasard nous comble aujourd’hui !

Nous passons donc, à quatre, la première porte que nous ouvre Mathias. Une rampe de briques en colimaçon nous fait monter tout en haut de la tour de l’âne. Vestige roman de l’édifice. Preuve du temps et de ses ramifications. Les portes continuent à s’ouvrir. Les passages nous perdent dans les méandres de la cathédrale. Nos yeux sont grands ouverts. Nous sommes aux aguets pour enregistrer le flot précieux d’informations données par Mathias et Catherine. Les crochets* nous entourent, la vue surplombe la ville et les voûtes nous couvrent comme celle qui est céleste.

Les formes géométriques savantes nous racontent les espaces qu’elles construisent. Les chapiteaux, les bases et les ornements sont couverts d’observations humaines, de grimaces, de griffes, de bourgeons et de formes vues par des Hommes de métier. Sont-elles des heures de promenades ? D’histoires ? De dessins ? Certainement un tout. Ces détails touchants nous viennent comme des preuves d’imaginaires vécus, qui nous mène à repenser l’état d’esprit d’un autre temps. D’un attachement aux formes naturelles et à l’humour. Une certaine notion de liberté s’en dégage. L’ascension se poursuit jusqu’en haut. Tout en haut. Sur l’une des flèches. Arrivé à la dernière marche, on se tait. Nous laissons parler le silence pour contempler la hauteur est vertigineuse. 105 mètres au-dessus du sol. Les pierres nous font voler.

Il est 10 h 30, lorsque nous arrivons avec nos vélos chargés dans la ville de Regensburg (Ratisbonne pour les français). Ce matin-là, nous garons nos bolides au pied de la cathédrale. Devant l’atelier des tailleurs de pierre. Au premier regard, il ressemble à une maison champêtre, qui nous amène loin de la ville. Un jardin planté de pierres taillées et de pots de fleurs entourent les murs en moellons qui nous accueillent chaleureusement. Tout comme son Leiter de la Domebauhütte*, Matthias Baumüller.Regard perçant et sincère, fervent passionné de son métier et de “sa” cathédrale. Matthias s’apprête à nous faire vivre l’une des plus belles visites de notre vie. Un voyage dans le voyage. Six heures et trente minutes continues, qui nous mènera à découvrir de multiples recoins de la cathédrale.

La cathédrale, peut-être vu comme un symbole et un objet architectural insaisissable. Elle concentre en elle une force qui, à la fois, nous fascine et nous déconcerte. Plantée au centre de nos villes, l'on pourrait la comparer à une entité naturelle remarquable, vénérée par certains peuples. Dans cette construction, l’Homme y a déployé une énergie extraordinaire. C’est toujours elle qui reste gravée dans ces murs et devant laquelle on s’émerveille. Une voie lactée de détails, de temps et d’unité qui ont permis de construire un lieu sacré, fait de croyances et d’imaginaires. Le cinq octobre dernier, les chanceux hasards du voyage nous ont menés à la cathédrale de Regensburg, où nous nous sommes aventurés à en saisir quelques bribes.

Après quelques minutes, remis de nos émotions, nous nous rapprochons des parois de la flèche. Elles ont été restaurées en ciment banché, à la fin du XXe siècle. Cela nous questionne sur les méthodes de restauration. Nous en discutons longuement. Mais la réflexion nous mène sur notre position de tailleur de pierre. Sur notre rôle dans la construction. Les deux flèches ont été achevées à la fin du XIXe siècle, modifiant entièrement la silhouette de l’édifice et achevant six siècles de projets et de travaux. Depuis, les mains des artisans s’activent à la restaurer. À la conserver comme telle. Alors qu’elle a toujours absorbé et été modelée d’influences et d’assemblages de milliers d’Hommes, comment est-il possible que l’on ait arrêté cet effort ? Voilà que serait vu comme un blasphème la construction d’un nouveau projet en son sein.

Tailleurs de pierre, nous devenons à présent infirmiers plutôt que bâtisseurs. Pour nous, la cathédrale de Regensburg fut un miroir. Une claque de nos prédécesseurs. Ils nous y ont légué l’essence de leur esprit constructeur. Alors, à quand le regain des tailleurs de pierre pour venir taquiner la gravité.

Nous voulions, par cet article, remercier Matthias Baumüller et Catherine Hummel, pour cette journée qui restera gravée à jamais dans nos mémoires.

       Légendes de gauche à droite et de haut en bas : 

  1. Vue sur la flèche Nord.

  2. Salle des statues dans l'ancien couvant.

  3. Vue de l'oiseau de la cathédrale au-dessus d'un fleuron.

  4. Trumeau central du portail principal de la cathédrale.

  5. Marque de tâcheron de Mattias Baumüller.

  6. Salle d'épure (de dessin) de la Bauhütte.

  7. Plan des années 70 de la cathédrale.

  8. Visite de la cathédrale en compagnie de Mattias Baumüller et de Catherine Hummel.

Vous aimez nos articles ?

Bauhütte : Système d'atelier dédié à la restauration et la préservation de la cathédrale et des savoirs-faire des tailleurs de pierre.

Crochets : Ornement architectural en forme de choux ou de rose très utilisés durant la période gothique.

Ouverture de la trappe donnant au-dessus de la nef de la cathédrale

Vue intérieure de la flèche Sud de la cathédrale

La cathédrale, peut-être vu comme un symbole et un objet architectural insaisissable. Elle concentre en elle une force qui, à la fois, nous fascine et nous déconcerte. Plantée au centre de nos villes, l'on pourrait la comparer à une entité naturelle remarquable, vénérée par certains peuples. Dans cette construction, l’Homme y a déployé une énergie extraordinaire. C’est toujours elle qui reste gravée dans ces murs et devant laquelle on s’émerveille. Une voie lactée de détails, de temps et d’unité qui ont permis de construire un lieu sacré, fait de croyances et d’imaginaires. Le cinq octobre dernier, les chanceux hasards du voyage nous ont menés à la cathédrale de Regensburg, où nous nous sommes aventurés à en saisir quelques bribes.

Comme chaque fois qu’un tailleur de pierre se fait guide, il nous permettra de comprendre des détails, souvent inconnus de beaucoup, même de spécialistes ou d’historiens. C’est donc dans la jolie bâtisse de l’atelier que tout commence. Le lieu respire une certaine quiétude. Matthias est calme et nous offre les réponses aux nombreuses questions que nous lui posons. C’est ainsi qu'il nous emmène dans les différentes pièces de la Bauhütte*. Nous voyons la forge, la salle des épures, les bureaux, les stocks, la cuisine, et même les archives. Dans l’atelier, les tailleurs de pierre travaillent à la main. Ils utilisent des types d’outils considérés de la même époque que la cathédrale. Ici, la règle est stricte. Pas de machines électriques, ni d’outils pneumatiques. C’est la massette et le ciseau qui rythment la journée. Alors que nous nous apprêtons à entrer dans la cathédrale, Catherine Hummel, guide, conférencière, française, nous rejoint : “Je peux vous accompagner, si vous voulez, pour faire la traduction, je suis libre jusqu’en fin d'après-midi". Décidément, le hasard nous comble aujourd’hui !

Nous passons donc, à quatre, la première porte que nous ouvre Mathias. Une rampe de briques en colimaçon nous fait monter tout en haut de la tour de l’âne. Vestige roman de l’édifice. Preuve du temps et de ses ramifications. Les portes continuent à s’ouvrir. Les passages nous perdent dans les méandres de la cathédrale. Nos yeux sont grands ouverts. Nous sommes aux aguets pour enregistrer le flot précieux d’informations données par Mathias et Catherine. Les crochets* nous entourent, la vue surplombe la ville et les voûtes nous couvrent comme celle qui est céleste.

Les formes géométriques savantes nous racontent les espaces qu’elles construisent. Les chapiteaux, les bases et les ornements sont couverts d’observations humaines, de grimaces, de griffes, de bourgeons et de formes vues par des Hommes de métier. Sont-elles des heures de promenades ? D’histoires ? De dessins ? Certainement un tout. Ces détails touchants nous viennent comme des preuves d’imaginaires vécus, qui nous mène à repenser l’état d’esprit d’un autre temps. D’un attachement aux formes naturelles et à l’humour. Une certaine notion de liberté s’en dégage. L’ascension se poursuit jusqu’en haut. Tout en haut. Sur l’une des flèches. Arrivé à la dernière marche, on se tait. Nous laissons parler le silence pour contempler la hauteur est vertigineuse. 105 mètres au-dessus du sol. Les pierres nous font voler.

Après quelques minutes, remis de nos émotions, nous nous rapprochons des parois de la flèche. Elles ont été restaurées en ciment banché, à la fin du XXe siècle. Cela nous questionne sur les méthodes de restauration. Nous en discutons longuement. Mais la réflexion nous mène sur notre position de tailleur de pierre. Sur notre rôle dans la construction. Les deux flèches ont été achevées à la fin du XIXe siècle, modifiant entièrement la silhouette de l’édifice et achevant six siècles de projets et de travaux. Depuis, les mains des artisans s’activent à la restaurer. À la conserver comme telle. Alors qu’elle a toujours absorbé et été modelée d’influences et d’assemblages de milliers d’Hommes, comment est-il possible que l’on ait arrêté cet effort ? Voilà que serait vu comme un blasphème la construction d’un nouveau projet en son sein.

Tailleurs de pierre, nous devenons à présent infirmiers plutôt que bâtisseurs. Pour nous, la cathédrale de Regensburg fut un miroir. Une claque de nos prédécesseurs. Ils nous y ont légué l’essence de leur esprit constructeur. Alors, à quand le regain des tailleurs de pierre pour venir taquiner la gravité.

Nous voulions, par cet article, remercier Matthias Baumüller et Catherine Hummel, pour cette journée qui restera gravée à jamais dans nos mémoires.

           Légendes de gauche à droite et de                      haut en bas :

  1. Salle des statues dans l'ancien couvant.

  2. Vue de l'oiseau de la cathédrale au-dessus d'un fleuron.

  3. Trumeau central du portail principal de la cathédrale.

  4. Marque de tâcheron de Mattias Baumüller.

  5. Salle d'épure (de dessin) de la Bauhütte.

  6. Plan des années 70 de la cathédrale.

  7. Visite de la cathédrale en compagnie de Mattias Baumüller et de Catherine Hummel.

Vue sur la flèche Nord.

Ouverture de la trappe donnant au-dessus de la nef de la cathédrale


Ouverture de la trappe donnant au-dessus de la nef de la cathédrale


Vue intérieure de la flèche Sud de la cathédrale